En Roumanie, les systèmes de chauffage urbain font faillite
octobre 2021
La Roumanie, pays industrialisé, avec de vastes ressources en charbon et en gaz, une solide tradition d’ingénierie, et son propre cycle de production de combustible nucléaire était en 1990 autosuffisante sur le plan énergétique et exportait même de l’énergie. Depuis lors, la main invisible est intervenue sur le marché de l’énergie. Le marché du gaz a été entièrement libéralisé en 2020 et celui de l’énergie électrique en 2021.
Timisoara, grande ville de l’ouest de la Roumanie, s’est retrouvée mardi dernier sans chauffage public. Environ 56 000 familles raccordées au réseau de chauffage central ont été privées de chauffage alors que les températures s’approchent de 0°C. Le fournisseur de gaz, E.ON Romania, ancienne compagnie d’état roumaine reprise par les Allemands, a cessé de distribuer du gaz à Colterm qui est la société de chauffage de la ville, basée sur le lignite et qui a besoin d’un feu de soutien au gaz. Colterm est entrée en procédure d’insolvabilité mardi et doit 15,3 millions d’euros à E.ON. Au cours des derniers mois, la ville a dû négocier des contrats de gaz sur une base quotidienne avec des paiements à l’avance. L’une des causes de la faillite de Colterm sont également les millions d’euros qu’elle a dû payer depuis 2006 pour ses émissions de carbone. Colterm n’a pas acheté tous ses certificats d’émission de carbone pour 2020 et a reçu une amende de 21,6 millions d’euros (qui est acutuellment en litige).
Les hôpitaux et les écoles sont touchés. La maternité de Timisoara a dû regrouper tous les bébés dans une pièce qui est désormais chauffée à l’électricité alors que les mères survivent à 15 C. Dans les hôpitaux, les patients ont reçu une couverture supplémentaire. Au même moment, la Roumanie fait face à l’un des pires moments de la pandémie de COVID avec plus de 400 victimes par jour et le gouvernement de coalition libérale est tombé le 5 octobre.
Timisoara n’est qu’un signal d’alarme pour une situation qui pourrait se généraliser en Europe de l’Est. Dans le contexte des prix élevés du gaz et des certificats de carbone, de nombreuses villes roumaines sont confrontées à des difficultés de chauffage. ” Les coûts supplémentaires sont si élevés que, sans l’intervention du gouvernement, tous ces opérateurs – nous sommes 27 municipalités – risquent de faire faillite “, a déclaré Lucian Viziteu, maire de la ville de Bacău, cité par Hotnews.ro. La situation est déjà critique dans la ville de Deva, dont la centrale thermique a été fermée au printemps de cette année. Bucarest, la capitale, qui possède le plus grand réseau de chauffage central d’Europe après Moscou, avec 562 000 appartements qui en dépendent, pourrait être la prochaine victime, car son distributeur de chaleur pourrait entrer en faillite.
Le maire de Timisoara, Dominic Fritz, un ressortissant allemand, est à la recherche d’un autre fournisseur de gaz et a lancé un appel adressé au marché de gaz, demandant ironiquement de l'”humanité”, comme le rapporte Mediafax. Jeudi il a annoncé avoir trouvé un nouveau contrat jusqu’au 1 novembre, pour passer le weekend…Il est membre d’USR, le nouveau parti ultralibéral, pro-Bruxelles appartenant au groupe européen de “Renew Europe”, la faction d’ Emmanuel Macron. Ce parti a lancé un appel urgent à la Commission européenne, déclarant que ” la décision unilatérale d’E.ON Gaz Romania d’arrêter la fourniture de gaz est en contradiction avec les principes du règlement (UE) 2017/1938 sur les mesures visant à garantir la sécurité de l’approvisionnement en gaz. L’UE doit tout mettre en œuvre pour éviter les ruptures d’approvisionnement en gaz de la part de fournisseurs de pays tiers tels que la Russie, mais elle doit également veiller à ce qu’aucune entreprise européenne ne puisse mettre en péril la sécurité énergétique de certaines municipalités. “. Cette fois-ci, ils ne peuvent pas donner la faute à Poutine, mais ils oublient que leurs propres décisions politiques n’y sont pas pour rien: dans la lutte “contre la corruption” menée par ce parti, ils prônaient une politique de libéralisation et aussi d’élimination progressive du charbon. Ces jeunes libéraux dopés par l’UE sont maintenant confrontés aux conséquences de leur propre idéologie qui est en fait appliquée depuis 30 ans: démantèlement de l’industrie, destruction des infrastructures de base au profit des gains financiers de court-terme.
En ’89 la révolution commençait à Timisoara. Le slogan était “Azi în Timisoara mâine-n toată țara”. “Aujourd’hui à Timisoara, demain dans tout le pays.”. Cette-fois-ci, la mobilisation populaire devrait porter un programme politique mature et clair, pour qu’elle ne soit pas confisquée par les mêmes: comment reindustrialiser le pays, comment l’affranchir de l’oligarchie financière, comment assurer une éducation humaniste ?